Autour de 2015 – 2016, j’ai contacté la responsable d’une association druidique, qui organisait des rituels durant les huit jours sacrés de la « Roue de l’Année », c’est-à-dire aux solstices, aux équinoxes, et aux quatre fêtes se trouvant exactement entre ceux-ci que l’on appelle les cœurs de saison. Les groupes de reconstitution de cultes ancestraux européens nomment ces fêtes ainsi : Imbolc au 1er février, Beltaine au 1er mai (le début de la saison vivante), Lugnasad au 1er août, Samhain (ou Samonios) au 1er novembre (le début de la saison morte).
Vous l’aurez compris, ces fêtes existent toujours aujourd’hui sous des formes chrétiennes ou laïques: la Chandeleur au 1er février, la fête du muguet au 1er mai, la fête de la Saint-Jean au solstice d’été, la fête fédérale suisse au 1er août, et la Toussaint au 1er novembre (ou Halloween à la même période). Et bien évidemment, la fête de Pâques, dont la date est basée sur la Lune, correspond à peu près à la fête solaire d’Ostara (Easter, Ostern dans les langues anglo-saxonnes) ; ainsi que Noël et la naissance du Christ, qui correspond à la fête de Yule (Jul, Jol dans les pays scandinaves) qui célèbre la fin de la « mort du Soleil » (la diminution de la durée du jour) et sa « résurrection » (l’augmentation de la durée des jours), et donc le solstice. Le récit de la vie de Jésus-Christ, d’ailleurs, est très similaire à celle de divinités solaires de l’Antiquité (Horus, Mithra etc.)
Le groupe druidique que j’avais contacté était ouvert aux non-pratiquants, curieux de découvrir cet univers: j’ai donc pu participer à plusieurs rituels avec cette assemblée, ou avec ce « bosquet » comme ils disaient eux, en Suisse et en Alsace, entre 2015 et 2017 si ma mémoire est bonne. Les rituels consistaient à former un cercle autour d’un feu de camp, en général dans une forêt ou dans un lieu d’importance historique (p.ex. un bois de chênes, un lieu possédant des menhirs ou des pierres gravées), et à faire des appels à l’esprit du lieu et aux déités, en faisant certaines offrandes selon la saison (verser du lait, planter des graines, etc.) Parfois, des sujets d’actualité étaient mentionnés durant le rituel, comme cela peut être le cas à la messe. Le rituel était en général suivi d’un verre d’hydromel ou de vin, d’un pique-nique, voire même de la visite d’un lieu historique ou d’un village à proximité. C’était surtout l’occasion de faire une bonne balade et de passer un bon moment avec nos semblables. Certains rituels se faisaient en plein jour, d’autres de nuit (solstice d’hiver), d’autres au coucher ou au lever du soleil (solstice d’été).
Quoi qu’il en soit, les rôles de chacuns au sein du groupe étaient assez codifiés : un nouveau participant, ou « marcassin », se devait d’apprendre par coeur certains codes du rituel (la signification de telle plante, de tel animal etc.), et ensuite, une fois qu’il maîtrisait suffisamment le savoir, le druide lui permettait de choisir un titre, correspondant à une voie : la voie du barde, ou la voie de l’ovate. Le barde a un rôle de création artistique, tandis que l’ovate s’intéresse plutôt aux soins et à la santé. Ceux-ci étaient notamment capables d’organiser les rituels en cas d’absence du druide. Après plusieurs années, les bardes et les ovates pouvaient devenir druides (= sages), créer leurs propres assemblées et exercer leurs propres rituels. Voici comment était la hiérarchie dans les groupes. Parfois, il arrivait que des membres de l’assemblée organisent des activités hors des rituels, par exemple, la visite d’un festival médiéval, ou la réalisation d’un atelier sur les runes (l’alphabet antique des Nordiques et d’autres peuples), afin de présenter cet alphabet et la symboliques de chacunes des lettres.
J’ignore si cette assemblée druidique est encore active aujourd’hui, donc j’éviterai de donner d’autres informations sur eux, à moins que ceux-ci me disent qu’ils souhaitent être cités. Je rajouterai simplement que mon groupe était très petit (moins de 10 personnes), qu’il était composé de Suisses et de francophones comme vous et moi, et qu’il était en contact avec d’autres groupes en France, en Belgique ou dans les Îles Britanniques. À aucun moment je n’y ai vu d’aspects sectaires ni de mysticisme mauvais. Le néodruidisme serait d’inspiration maçonnique selon certains, et peut-être que certains groupes le sont et ont des ramifications avec des réseaux de l’ombre, mais je n’ai rien vu de tout cela. Bien au contraire, j’y voyais une démarche pour quitter le monde désenchanté du métro-boulot, sortir de la course de rats urbaine le temps d’une journée, et faire une balade dans la nature dans la bonne humeur, avec un groupe d’Européens ouverts à des discussions profondes.
Quoi qu’il en soit, j’ai quitté ce groupe lors de mon départ à l’étranger en 2018, et j’ai continué à suivre mon propre cheminement, tout en ne cessant de m’inspirer de ce renouveau culturel ancestral. C’est pourquoi j’ai choisi arbitrairement le titre de Barde lorsque j’ai lancé mon projet musical. En réalité, je ne fais plus partie de ces groupes druidiques et selon eux ce titre pourrait être usurpé ; mais selon moi, ma démarche artistique ancrée dans nos origines, et les mots-clés que recherchent mon public cible, justifient l’usage du terme Barde.
Dans la suite de ce récit, je parlerai un peu plus de mon départ en Hongrie et des raisons qui m’ont poussé à m’exiler hors de Suisse.