Le Balaton, c’est ce grand lac allongé, un peu plus grand que le Léman, qui se démarque sur les cartes de la Hongrie, et où l’intégralité du peuple hongrois vient y passer ses vacances d’été. Il faut dire qu’avec une profondeur moyenne de quelque chose comme 3 mètres et demi, l’eau se réchauffe vite au moindre rayon de soleil, et le lac est baignable pendant une grande partie de l’année. Tous les villages ont leur port, leur plage, leurs restaurants de friture, la région ne vit que de ce tourisme. Et ça date ; à l’époque du rideau de fer, Allemands de l’Ouest et Allemands de l’Est avaient le droit d’y passer des vacances, ce qui permettait à des familles séparées de s’y retrouver. Si vous cherchez des plages sauvages, passez votre chemin: à l’exception de quelques petits rotoïllons de marécages où deux cygnes et trois canards font leur nid, l’intégralité de la côte du lac est construite ! Résidences secondaires, plages aménagées, hôtels de probablement dix étages… Le Balaton, c’est vraiment la Riviera hongroise. Ne sous-estimez pas l’importance de « a magyar tenger« , la mer hongroise.

Il va donc de soi qu’en hiver, la région est désertée, à l’exception de quelques chefs-lieux comme Keszthely (prononcer: caisse-teille) à l’extrémité ouest du Balaton. Outre ses plages, cette ville historique a une petite importance régionale, une école d’agriculture, un marché, un cœur historique et un château qui attirent des visiteurs toute l’année, et profite aussi de la proximité de Hévíz, ville de curistes située à 10 minutes de route au nord-ouest, et construite autour d’un lac thermal de 300 m de diamètre et de plus de 30 m de profondeur, alimenté par des sources d’eau chaude aux vertus curatives.

À l’heure où je vous écris, Keszthely est desservie par train une fois par heure depuis Budapest (train direct une heure sur deux), et Hévíz possède aussi des liaisons directes par bus depuis Budapest, et je recommande à tout le monde de passer une nuit ou deux dans le coin. À moins que vous préfériez faire la noce toute la nuit ; dans ce cas-là, allez plutôt à Siófok (chiot-phoque).

Bref, ce coin de Balaton le plus éloigné de Budapest attire de nombreux retraités hongrois, allemands et autrichiens à la recherche de calme mais aussi de terroir : tout l’arrière-pays de Zala fournit la ville en bons produits. Néanmoins, vous l’aurez compris à ces termes – curistes, calme, retraités… – ce n’est pas un coin hyper jeune. En fait, le vármegye de Zala est, en ces années 2020, la région à la moyenne d’âge la plus élevé de Hongrie. Un jeune de 30 ans n’a rien à y faire. Encore moins un Suisse. En fait, ça n’existe même pas dans l’inconscient collectif. Même si ça apprend le hongrois, même si ça va au marché, même si ça fréquente régulièrement les mêmes restos… Ça restera un OVNI. Objet vagabondant non-identifié. C’est pourquoi je n’ai pas grand-chose à en dire, de ce Keszthely. J’y ai passé une très bonne année, au sortir des restrictions liées à la « chauve-souris mal cuite ». Sans vraiment parvenir à me faire des amis sur place, j’avais toutefois des relations plus cordiales avec une voisine ici, un serveur là… Tout en restant un peu le fantôme du coin. Quelques fois, je retournais voir les camarades à la capitale pour deux nuits, à 200 km de là. D’autres fois, c’étaient ceux de la capitale qui venaient pour profiter du lac. Un coup, j’ai fait le trajet avec Martial, désormais jeune père, pour récupérer mes affaires chez lui.

Sinon, hors du travail à domicile, mes journées étaient rythmées par la marche, le vélo, la plage, et toujours la composition musicale pour Bards in Exile. Un groupe d’improvisation musicale aussi, mais ça n’a rien donné. Il y avait des petits festivals locaux aussi, mais généralement fréquenté par des vieux ou des familles, souvent de très jeunes parents avec déjà 2 enfants. Pas de filles de village à la recherche d’un prince charmant qui va les sortir de là, oh le cliché éculé ! Comme dans tous ces coins un peu campagnards, les jeunes adultes qui peuvent étudier montent à la capitale, et ceux qui restent sur place commencent tôt : plusieurs parents que j’ai vus à Keszthely n’avaient pas plus de 25 ans. Vingt-cinq, c’était aussi le nombre total de filles qu’il y avait sur un site de rencontres, dans un rayon de 50 kilomètres autour de Keszthely, ce qui incluait deux autres villes plus grandes.

L’appartement de cette amie d’ami, Julcsi (prononcer: youl-tchi), n’était pas cher à la location. Mais il y avait un deal. Cet appartement meublé, en plein centre de Keszthely, était en vente, car Julcsi le louait autrefois à des vacanciers, mais n’arrivait plus à en trouver assez pour que l’affaire soit rentable. Alors, elle l’avait mis en vente, et m’avait proposé d’y vivre jusqu’à ce qu’il soit vendu, avec donc deux conditions: primo, elle me relogerait ailleurs une fois la vente effectuée, et deuzio, je devais m’occuper de sa collection de plantes vertes, car la résidence principale de Julcsi était en chantier, et Julcsi devait rester en Autriche pour essayer d’obtenir des compensations suite à un licenciement abusif – car cette brave dame avait refusé l’injection obligatoire contre la « chauve-souris mal cuite » – compensations qui auront pu lui permettre de finir les travaux au terme d’appels et de recours interminables avec la justice. En attendant la fin des déboires, ces pauvres plantes vertes qui n’avaient rien demandé à personne étaient en pension chez moi.

Un jour de 2022 arriva où l’appartement fut vendu, et où nous fûmes, les plantes vertes et moi, envoyés dans un nouveau logement à Zalakátyú, un village un peu plus au nord. Mais avant de revenir là-dessus, il ne faut pas que j’oublie un détail : dès le début de l’été 2021, alors que les restrictions minaient encore le moral, que les certificats d’injection autorisaient les clients à entrer dans les restaurants, et cætera, il m’est venu à l’idée que : « Les camarades que j’ai quittés… Tous ces gens sur les groupes de discussion sur Internet… Le Nikolaï, là, et l’autre dont j’ai oublié le nom, qui ont tenté l’aventure rurale en Ukraine… Eh bien, me voici dans la ruralité hongroise, avec mon télétravail et mon temps libre ! Alors, pourquoi ne le ferais-je pas seul ? On est en été 2021, rien ne nous prouve que l’hiver suivant ne va pas être six mois de confinement qui vont porter le coup de grâce à la vie urbaine… Peut-être bien, cette fois-ci, que leur effondrement civilisationnel est là ! »

Et c’est comme ça que sur un coup de tête, j’ai acheté un chalet.

Partie VIII à suivre.

Publications similaires